#.Black Market }

Veux-tu bien mettre tes chaussures, et descendre de cet arbre !? La voix de la vielle institutrice avait éclaté au beau milieu de la cour de récréation. L'écho de son gémissement s'était propagé jusqu'aux salles de classe les plus éloignées, si bien que tous se demandaient ce que Mademoiselle Bartolli, soixante-et-onze ans, faisait dehors à une heure où elle aurait dû enseigner la géographie à ses élèves de 1º biennio.

Non j'veux pas bien ! Et pis d'abord, pause cette règle en fer et je descendrais vieille moche ! Alceo, huit ans, avait jeté ses chaussures contre le tableau noir et s'était précipité dehors. Perché au sommet d'un bouleau, il prétendait ne pas vouloir mettre pied à terre tant que sa mère, actuellement en clinique car enceinte de huit mois passés, ne serait pas rentrée à la maison. Il n'était pas rare que les conflits de famille du blondinet atterrissent et explosent à l'école. Après tout, dure dure de rester anonyme lorsque l'on sort tout droit de la famille mafieuse locale. La famiglia Cavallone était plutôt bien vu dans la région, et les membres qui habitaient dans le coin se dépareillaient souvent de la foule par une grande richesse, des tatouages et parfois même, de beaux cheveux blonds. Qu'il s'agisse de la grossesse de maman, du mystérieux salaire de papa, ou des gens qui venaient manger à la maison le samedi soir, tout finissait toujours par se savoir. Blondie n'aimait pas ça, pas plus qu'il n'aimait cette maîtresse infecte ou cette école pourrie. Pourquoi devait-il rester assis à une table pendant deux heures sans rien faire d'autre que lire ? Qu'avait-il fait de si mal pour que, depuis trois ans déjà, on lui impose cela !? Décidément la vie était bien plus belle avant, lorsqu'ils habitaient Venise. Mais ... un malheureux incident les avait poussé à changer d'air. Alors qu'il se remémorait avec soin la haine qu'il portait à cet endroit, la dame aux cheveux décolorés et au chignon crépu, pleine de hargne suite au surnom peu amical qu'il lui avait conféré, s'était préparée minutieusement et, d'un mouvement souple et précis, avait lancé sa règle en titane en plein milieu de la chevelure blonde de son élève.

C'est qui la vieille moche, hein ?! Lâchant instantanément sa prise, Alceo chuta aussi lourdement qu'une pierre. Le bruit sourd de son petit dos s'étalant sur l'asphalte usée de la cour ne choqua personne, pas plus que le liquide tiède, pourpre, qui imbibait lentement sa tignasse. La seule chose qui effraya les élèves de la classe de Mademoiselle Bartolli, cachés derrières les fenêtres de leur salle de classe, était cette lueur rouge, mouvante, qui flambait au dessus du front de leur camarade perturbateur. Bientôt, le garçonnet se redressa, l'œil mauvais, la bouche tordue. La flamme qui luisait sur son crane disparu doucement, alors que d'autres apparaissaient à ses poings. Un drôle de feu, chargé de haine et qui lui picotait les doigts, un peu trop rouge pour que tout à chacun comprenne qu'il s'agissait d'un feu. Une flamme de la dernière volonté ? Oui il en avait une, son attribue était la tempête. Mais jusqu'à présent il ne l'avait jamais vu que lorsque son père approchait son gros indexe de son front pâlichon. Levant ses bras embrasés bien hauts, Blondie laissa éclater sa rage.

Puttana !

Petite ellipse, sept heures plus tard.

Fils ... Je ne suis pas vraiment fier là. Quatre points de suture au crane pour Alceo, une plaque de marbre pour la mégère, un suivi chez un pédopsychiatre pour les douze autres élèves. Voilà ce que chacun avait gagné. Si le bonhomme pouvait se sentir grand de sa performance, car développer ainsi sa flamme de la dernière volonté à un âge si précoce, il pouvait aussi en ressentir la lourdeur. Thorax écrasé, poitrine et visage brûlés, fort heureusement la vieille femme avait succombé au craquement rapide de ses os avant que les flammes de la tempête, reconnues pour leur voracité, ne décident de la consumer. Alceo se tenait bien droit, la tête bandée, rasée un peu au dessus de la nuque. À côté de lui, son père crapotait sur sa cigarette, le regard perdu sur la nuit qui avait fini par s'étendre. Derrières eux, plusieurs autres membres de la famille Cavallone, jonglant avec divers papiers administratifs et plusieurs téléphones, tentaient visiblement de passer sous silence la bourde du gamin.

C'est la deuxième fois que tu les fais se déplacé Alceo. Je m'excuserais pas ! Y'a d'abord eu ce gosse que t'as mordu à la gorge à Venise. Bon ça, on aurait du remarqué que t'avais tailler tes dents de lait en pointes. Je me demandais aussi, pourquoi tu voulais plus nous sourire ... Et maintenant, y'a ça.

Je m'excuserais pas. Un homme, ça assume ses actes, alors je demanderais pas pardon. Je suis responsable de ce que j'ai fais. Le menton bien haut, il fixait le vide à travers les vitres de la clinique, impassible et déterminé. C'est alors qu'un homme en vert passa les lourdes portes à battant du couloir, esquivant agilement les multiples personnes présentes dans ce dernier, roulant alègrement des fesses, il s'arrêta juste devant les Cavallone, mastiqua un "C'est un garçon !" et retourna vers la bloque où la mère d'Alceo venait de pondre son cadet. Est-ce que c'est ça qu'on appelait l'équilibre mortalité-natalité ?

Cool ! On l'savait déjà ça, finnochio !

Grande ellipse, sept ans plus tard.

Bon, qu'est-ce qu'on fait ? Moi j'dis, on leur envoie. C'est qu'une gamine, on peut pas lui refiler ça ! Pourquoi ? Il est puissant et agile, ça peut que leur être utile ... Il est instable ! À mon humble avis, elle saura bien mieux s'en occuper que nous autres. Pas faux. Après tout, c'est vrai qu'elle a brillé dans l'œil du neuvième du nom ! C'est pas n'importe qui ! Quand le tumulte de tous ces timbres de voix entremêlés se stoppa enfin, la porte du luxueux bureau dans lequel les quatre hommes de mains s'étaient enfermés quelques minutes plus tôt s'ouvrit dans un léger grincement aigu. Alceo qui rentrait tout juste de son voyage à Mafia Land avec ses frères et sœurs, s'était endormi sur la chaise où on lui avait demandé d'attendre, sans même lui expliquer pourquoi. Le moment avait été particulièrement bien choisi, car s'il avait eu autant d'énergie qu'à son habitude, jamais il ne serait resté seul dans ce couloir vide. L'un des mafieux s'approcha de lui et déposa une main sur son épaule. Entrouvrant les paupières, l'adolescent reconnu plus ou moins rapidement la personne en face de lui et, tout serin, il bailla à s'en décrocher la mâchoire.

Qu'est-ce qu'il y a Romy ? Dinul veut me dire quelque chose ? J'ai pourtant rien fais de grave cette semaine ...

Alceo, est-ce que tu as déjà entendu parlé de la toute jeune famille Cristallo ? Romario était bien la seule et unique personne à pouvoir expliquer à la blondasse la situation dans laquelle il se trouvait, et l'expédier vite fait bien fait chez les Cristallo sans que ce dernier ne prenne le temps de comprendre où il était et où il allait se retrouver d'ici quelques heures.